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Reformatio, pour une histoire du vocabulaire réformateur médiéval

Porteuse du programme : Marie Dejoux (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, LaMOP)

Liste des participants 

Du Lamop : Gaëtan Bonnot, Geneviève Buhrer-Thierry, Julie Claustre, Fabrice Delivré, François Foronda, Claude Gauvard, Laurent Jégou, Elisabeth Lusset, Aude Mairey, Olivier Mattéoni, Joseph Morsel, Didier Panfili, Darwin Smith. 

Hors Lamop : Sophie Ambler (université de Lancaster, Grande-Bretagne), Julia Barrow (université de Leeds, Grande-Bretagne), Alexandra Beauchamp (université de Limoges, CRIHAM), Esther Dehoux (université de Lille III, IRHiS), Alain Guerreau (CNRS), Ada Maria Kuskowski (université de Pennsylvanie, Etats-Unis), Michel Lauwers (université de Nice Sophia Antipolis, CEPAM), Anne Lemonde (université de Grenoble-Alpes, LUHCIE), Gisela Naegle (université Justus-Liebig de Giessen, Allemagne), Pascal Montaubin (université d’Amiens), Thierry Pécout (université Jean Monnet de Saint-Etienne, LEM-CERCOR), Nicolas Perreaux (université de Francfort, Allemagne, SFB 1095), Isabelle Rosé (université de Rennes II, CERHIO), Emilie Rosenblieh (université de Franche-Comté), John Sabapathy (University College de Londres, Grande-Bretagne), Steven Vanderputten (université de Gand, Belgique)

Argumentaire : En prônant la « réparation » du système de santé voire le « reengineering » de l’État tout entier, le premier ministre et le président actuels font tomber en disgrâce l’expression de « réforme de l’État » et nous rappellent que les mots ont en politique un passé et, dans certains cas, un passif. Cette éclipse temporaire ne doit cependant pas faire illusion : incantatoire, le terme de réforme continue d’être brandi tour à tour par les gouvernants et leurs détracteurs. Il sature et oriente discours et représentations politiques actuels. Sans doute depuis l’époque moderne, l’histoire du Moyen Âge occidental est quant à elle narrée selon une trame « réformiste » : réforme carolingienne, réforme clunisienne, réforme grégorienne, réforme cabochienne, etc. Pour autant, le terme de « réforme » n’est que très rarement un objet de discussion, voire de recherches, même si les historiens du fait religieux ont récemment pris une longueur d’avance en la matière. Apparu sous la plume d’Ovide dans ses Métamorphoses et repris par Sénèque, le terme désigne à partir de saint Paul le principe d’être ré-formé, re-formé selon l’image du Christ. Il faudrait ensuite attendre le XIe siècle pour que le terme de réforme commence d’être, très sporadiquement, utilisé pour désigner en contexte monastique des changements organisationnels et institutionnels et non plus individuels : la reformatio ordinis ou la reformatio ecclesiae. Un premier tournant décisif serait atteint sous Innocent III, comme l’indique le 12e canon de Latran IV qui fait entrer, selon J. Barrow, la réforme dans le «  mainstream » de la pensée catholique. Devenue selon elle un « catchword » avec le concile de Constance (1414-8), la reformatio serait bientôt délaissée au profit de la « restauration » à partir de la Réforme. Mais depuis quand les pouvoirs princiers et leurs opposants ont-ils revendiqué la réforme ? Dans le royaume de France, c'est la lutte contre le pape Boniface VIII qui motive Philippe le Bel à se saisir d'une reformatio que le pontife prétendait lui imposer à lui et à son royaume. Avant cette date et hormis l'exception constituée par l'ordonnance de 1254, le roi de France est soucieux d'emendacio, de restitutio et parfois de correctio, comme l’était, semble-t-il, le monarque carolingien ou le Plantagenêt avant la révolte baronniale des années 1258-1267. Si l'empereur germanique "réformait" peut-être depuis le XIIe siècle, qu'en est-il ailleurs, dans le reste du royaume de France et de l’Europe? Sans tomber dans l'écueil nominaliste, ce programme entend faire dialoguer les périodes, les espaces, l'histoire religieuse et l'histoire politique autour d’une enquête lexicale commune. Il s’agira de dater l'apparition de la reformatio, d’en traquer les synonymes, les co-occurrents, les concurrents pour dessiner les contours d’un lexique réformateur proprement médiéval en comprendre le sens précis et, partant, les contextes favorables à la revendication d’un tel mot d’ordre. La charge politique potentiellement explosive de la « réforme » au Moyen Âge, souvent revendiquée lors de révoltes ou de conflits de souveraineté, se trouve de plus totalement diluée par nos usages contemporains. Il s’agira donc d’organiser également des discussions pour réfléchir cette fois aux usages historiens de cette notion. Que veut-on dire exactement quand on présente une époque, un règne, un acteur ou un document comme « réformateurs » ? Vanter le vent du changement à la manière de notre classe politique actuelle ? Montrer qu’il existait des périodes « lumineuses » et progressistes dans les longs dark ages médiévaux ? Si le paradigme de la « réforme carolingienne » a été questionné et remis en cause par les hauts médiévistes, la « réforme grégorienne » fonctionne encore trop souvent comme un impensé. A-t-on au demeurant besoin de ce mot, porteur aujourd’hui d’un imaginaire politique généralement progressiste qui en travestit le sens fondamentalement conservateur du Moyen Âge ? Les médiévaux étaient-ils plus soucieux de purgation et de nettoyage, de correction et d’amende que de réforme ? Enfin, si la réformation est toujours présentée dans les archives comme la reformatio du statum du royaume ou de l’Eglise, le mot d’Etat ne se suffit pas encore à lui-même au XIIIe et XIVe siècle. Mais il n’est pas totalement anodin que ces deux mots fonctionnent en binôme. L’apparition du vocabulaire réformateur serait-il un bon indice de la genèse de l’Etat moderne ?