Projet scientifique

Le premier point consiste à afficher plus fortement l’ensemble des thématiques liées, de près ou de loin, au champ des Humanités numériques. Le terme « numérique » regroupe par métonymie un ensemble de processus et de dispositifs informatiques, d’outils-logiciels, de bases de données, de corpus textuels électroniques, qui, parmi d'autres, sont aujourd'hui utilisés dans l’exercice du métier d’historien. Le « numérique » recouvre un ensemble de méthodes de structuration et d'analyse de l'information historique produite à l'aide de l'ordinateur, outillés par les sciences informatiques et mathématiques.  D'une façon générale, il intervient et transforme toute la chaîne de production du savoir de l’historien : de l’extraction d’information,  jusqu’à leurs diffusions en passant par la construction de ses démonstrations. Ce dernier point deviendra essentiel dans les années à venir, parce qu’il est une condition nécessaire à l’échange et à la comparaison.

Porteur d'une méthodologie complète et dynamique, en extension rapide, le « numérique » permet d’envisager la documentation médiévale sous un jour nouveau, de lui poser d'autres questions et de voir émerger des problèmes historiques insaisissables et invisibles autrement. C'est ce potentiel heuristique et exploratoire ainsi que ses implications épistémologiques, bien au-delà des usages indiciaires habituels, que nous entendons explore dans un nouvel axe transversal intitulé : « médiévistique numérique ». Dans ce cadre, il s'agit donc de prendre au sérieux le fait que le « numérique » n'est pas un simple outil technique qui permet d'accélérer nos recherches, ou une science auxiliaire comme ont pu l’être, autrefois, la diplomatique ou la paléographie, mais une opération cognitive à part entière, qui transforme la critique historique et l'érudition, les formes et les échelles d'analyse des documents, dont l’articulation apparaît comme un impératif scientifique. Les méthodes numériques permettent en effet non seulement de traiter de séries documentaires très vastes, mais elles ouvrent aussi à des comparaisons inenvisageables autrement : comparaisons géographiques, autant que chronologiques et typologiques. Au sein de ce nouvel axe qui renvoie à de nombreux champs déjà bien présents dans les travaux du LaMOP (Corpus, Prosopographie, Lexicométrie, Spatialités, Scripturalité), on envisagera 3 grandes thématiques :

 

1. La première concerne « les données et les corpus », qui sont de plus en plus envisagés comme des productions scientifiques à part entière, et non comme des résultats intermédiaires. De ce point de vue, au même titre qu'une édition papier, un corpus numérique et les outils qui l'accompagnent sont le résultat de choix raisonnés qu'il convient de rendre visibles. Cette démarche épistémologique s’insère dans les enjeux liés à la Science ouverte, pour un partage effectif des connaissances,  une réelle reproductibilité des expériences (données et processus de traitement) et tout autre répercussion de cette ouverture.

 

2. La seconde est celle de l'inter- et de l'intra-disciplinarité. La médiévistique numérique implique, à différents degrés, la collaboration d'historiens (des textes ou de l'art), d'archéologues, mais aussi de linguistes, d'analystes de données, d'informaticiens et de statisticiens. Comment peuvent s'organiser concrètement de tels échanges ? Il est intéressant d’observer que plusieurs historiens de l’équipe ont publié dans le champ des mathématiques ou de l’informatique, parce que ces collaborations ouvraient de nouvelles perspectives scientifiques dans les deux domaines de recherches. Le développement d'une médiévistique numérique passe donc par un dialogue mais il ne peut se réduire à une simple collaboration. De ce point de vue, une réflexion est nécessaire sur l'offre de formation, initiale ou continue des chercheurs. L’axe doit donc être relié aux questions d’enseignement, tel qu’il est déjà développé au PIREH et au LaMOP. Afin que les médiévistes s'emparent des outils numériques disponibles, il est important de former à leur maniement, à leur dimension expérimentale, mais aussi à la création de ces outils (linguistique computationnelle, programmation, statistique, SIG, base de « données », etc.). Le numérique n’étant pas une procédure standard, « magique », mais façonnée par des objectifs scientifiques précis, ce qui impose aux chercheurs de se saisir des outils existants, voire d’en créer, pour pouvoir les manipuler selon leurs propres interrogations.

 

3. La troisième est celle de la production de méthodes et de dispositifs algorithmiques, parfois appelés « outils », « applications » ou encore « logiciels », qui permettent d'exploiter la documentation numérique regroupée. Ce champ reste encore particulièrement ouvert, mais il est très prometteur, car il pose une question fondamentale pour l'historien : comment mesurer ou modéliser le changement social et culturel historique à l'aide des nouvelles technologies ? Dans le domaine chronologique, on pense au développement d'outils permettant de mesurer l'évolution des termes ou des liens entre les termes. Au plan spatial, les systèmes d'information géographique et les calculs permettant de faire apparaître des relations géographiques, jouent un rôle de plus en plus important dans les découvertes en médiévistique – que ce soit en archéologie, en histoire de l'art ou en histoire des textes. Enfin, la modélisation des relations sociales, par l'analyse réticulaire – qui s'appuie elle-même sur une tradition importante en histoire médiévale – semble à même de renouveler nos connaissances en matière de sociabilité et de parenté. Dans ce domaine le LaMOP dispose de grandes forces, la production logicielle est importante mais elle doit être mise davantage en valeur.