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Pauvreté et travail au Moyen Âge

Les mécanismes de l’inégalité (2014-)

Porteurs : Laurent Feller

Participants du Lamop : Julie Claustre (membre), Didier Panfili (membre), Philippe Bernardi (membre), A. Rodriguez (associé), A. Furio (associé), P. Sopena (associé), S. Carocci (associé), P. Benito (associé), J. Drendel (associé)

Autres participants : D. Chamboduc, M. Scherman, F. Michaud, E. Huertas

Argumentaire : La pauvreté médiévale a surtout été abordée sous l’angle de l’assistance institutionnelle et de la charité : est pauvre celui qui mérite d’être assisté. On désire étudier les mécanismes qui font entrer en pauvreté et ceux qui empêchent d’en sortir. Les pauvres ne sont pas passifs face à leur situation. Ils ont des ressources et les mobilisent et développant des stratégies de survie qui passent par des occupations multiples, toujours mal rémunérées et ils recourent également aux possibilités offertes par les marchés que ce soit celui du travail ou celui des objets. Ils s’arrangent avec les choses : c’est l’art de s’arranger et de se débrouiller développé par les pauvres du Moyen Âge que ce programme désire aborder.

 

Présentation du programme par Laurent Feller, au nom de l'équipe organisatrice :

La pauvreté est un thème qui a été scruté à fond dans les années 1960-1970 par Michel Mollat et les savants qu’il avait réuni autour de lui pour réaliser l’étude magistrale intitulée Les pauvres au Moyen Âge. Étude sociale ainsi que par Bromislaw Geremek dans une série de travaux tirant davantage vers l’époque moderne. Depuis lors, cette question n’a plus guère été reprise par l’historiographie. Or, elle est d’une actualité évidente. Mollat orientait son propos vers l’assistance offerte par les institutions ecclésiastiques ou politiques. Geremek, pour sa part, insistait davantage sur la marginalisation, le déclassement et la délinquance. Or, la pauvreté a un soubassement ou, si l’on préfère, une origine économique.

C’est pour reprendre cette question et la prolonger dans un sens qui tienne compte des travaux effectués depuis et qui la placent dans une perspective d’histoire économique autant que social qu’un programme associant principalement l’École française de Rome, la Casa de Velazquez, l’Université Paris 1 (Lamop-UMR 8589), l’Université Roma 2-Tor Vergata et le CSIC de Madrid a été organisé entre 2016 et 2020.

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L’aspect proprement économique de la pauvreté n’est pas le plus facile à percevoir et étudier dans les sources médiévales mais réfléchir à son sujet permet de mettre le travail au cœur de la réflexion, d’insister sur les dynamiques sociales descendantes et sur la définition de l’état de pauvreté. On a voulu aussi s’interroger sur les « trappes » qui s’ouvrent, forment piège, et font qu’il est impossible de sortir de l’état de pauvreté. C’est pourquoi le programme avait prévu 3 rencontres : 1. Travail et pauvreté ; 2. Appauvrissement ; 3. Vivre dans la pauvreté.

1. Pauvreté et travail. La pauvreté peut se définir de deux façons différentes, soit comme une faiblesse, le pauvre est celui qui n’a pas de protection, qui est impotensdebilis, imbecillis, faible. Cette situation lui ouvre un droit de tirage sur le reste de la société : le pauvre est celui qui doit être aidé. C’est la définition qui, du bureau de Bienfaisance de l’Assemblée Nationale Constituante à Simmel et finalement à Mollat, a été le plus souvent retenue. Est pauvre aussi celui dont les revenus sont insuffisants, celui qui est en permanence en situation de manque et de besoin. Le lien avec le travail au sens où l’entend la société contemporaine est alors évident. Est pauvre celui qui ne peut se procurer lui-même sa subsistance. Dépourvu d’accès direct aux moyens de production, il doit recourir au salariat pour couvrir ses besoins alimentaires, ses dépenses de vêtement et de chauffage, payer son loyer s’il est en ville. Par position, les brassiers, les manouvriers, les journaliers tous ceux qui, en ville, doivent chaque jour trouver une embauche, ou encore, à la campagne s’engager dans une équipe provisoire de travailleurs pour la moisson ou les vendanges, les ouvriers qui participent aux travaux de la vigne et sont payés à la journée, tous ceux-là, qui devraient pouvoir vivre de leur travail et qui, de fait, travaillent, multipliant souvent les travaux et les occupations, sont pauvres. Ils sont soumis à tous les aléas, et d’abord à ceux du chômage, saisonnier, conjoncturel ou structurel. L’insuffisance des contreparties qui leur sont octroyées en rémunération de leur travail, d’autre part, prolonge leur état de misère, le maintient et induit un genre de vie particulier. 

2. L’appauvrissement. L’état de pauvreté se reproduit souvent d’une génération à une autre. Certaines fractions de la sociologie américaine des années 1950 (O. Lewis) voyait dans la pauvreté une culture particulière qui rendait impossible l’évolution d’une situation appelée à se répéter ad infinitum, les traits culturels la définissant étant appris et définissant par conséquent un sous-groupe dans la société globale. Ce qui nous a intéressé c’est non pas la répétition du même, mais les processus et les procédures par lesquels des individus ou des groupes sociaux tout entiers sont dépossédés de leurs biens puis de leur identité sociale. La migration de campagne à campagne provoque partiellement ce phénomène. La perte de la terre puis l’abandon de la maison entraînent le relâchement des liens qui la fondaient ou la consolidaient. L’émigration vers la ville, lorsqu’elle ne s’insère pas dans un programme familial de dynamique sociale ascendante entraîne la déqualification et place le migrant dans l’obligation d’accepter toute sorte de travaux, les moins spécialisés et les moins rémunérés, puisque la compétence acquise dans le travail de la terre ne peut plus être mobilisée et qu’elle n’est par conséquent plus utile.

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Par ailleurs, la conjoncture joue évidemment son rôle. Les chertés jettent des hommes et des femmes hors du marché et spécialement hors du marché des denrées alimentaires, en ceci qu’ils n’ont plus, passé un certain stade, de titre suffisant pour y accéder, qu’il s’agisse d’un salaire, d’une exploitation ou de biens meubles vendables : c’est le mécanisme désormais bien éclairé des famines médiévales. Celles-ci débouchent souvent sur des transferts massifs de terres entraînat déclassement, déqualification et appauvrissement qui vont donc de pair, particulièrement dans les périodes de basse conjoncture ou de crises véritables. Cependant, face à ces dynamiques la société n’est pas inerte, il s’en faut. La question de l’endettement est ambivalente. La dette permet la survie. Elle risque de lier le débiteur à son créancier mais son remboursement n’est pas toujours attendu : en ce sens, l’endettement de survie n’est pas nécessairement un fait négatif, le créancier pouvant être un ami et un protecteur comme l’a montré C. de la Roncière à propos de Lippo del Sega. Les communautés, et particulièrement les communautés rurales, ont des ressources économiques, financières et sociales qui ralentissent les phénomènes d’appauvrissement des plus fragiles de leurs membres. Enfin, au bout du compte, la révolte apparaît ou peut apparaître comme l’unique échappatoire, lorsque la dignité morale du groupe est atteinte ou menacée de l’être. Elle fait partie du répertoire de lutte contre un déclassement collectif qui fait perdre aux hommes tout ce à l’aide de quoi ils vivaient ou sur quoi ils comptaient pour vivre (terres, emploi, mais aussi prestige, place dans les processus de décision des communautés).

3. Vivre dans la pauvreté. Être pauvre, c’est constamment s’adapter, se débrouiller, savoir saisir toutes les occasions de gain, même les plus humbles. C’est aussi avoir des conditions d’existence définies par la modicité des ressources. Elles contraignent à accepter des types de nourriture particulières où la quantité l’emporte sur la qualité. Construire des stratégies de survie, se débrouiller, c’est également accepter un logement insalubre, obscur et mal chauffé, des conditions matérielles d’existence malcommodes qui favorisent la diffusion des maladies épidémiques. Hommes et femmes ne sont pas logés à la même enseigne. Et, si le salaire du mari est insuffisant, la tâche de l’épouse est de trouver auprès des institutions spécialisées, comme à Florence Orsanmichele, ou auprès de personnes charitables, de quoi compléter les revenus du couple. Les métiers spécifiquement féminins ne permettent pas de gagner convenablement de quoi vivre : on songe en particulier aux fileuses, étroitement surveillées et sous-payées. 

Enfin, les modes de paiement des pauvres complètent le tableau. Les monnaies utilisées sont des monnaies noires, celles dont on a besoin pour les petits achats quotidiens et qui sont versées à la semaine : nature du paiement et périodicité définissent aussi un état social où le manque et la pénurie dominent et structurent les existences. Il peut y avoir des compensations : dans le monde artisanal, la distraction des pièces ratées ou des chutes de tissus peuvent offrir un complément, l’occasion de gagner quelque chose par un prélèvement en nature. La pauvreté laborieuse est celle sur laquelle s’étend l’Église, parce qu’elle est méritante et doit pouvoir être aidée. Elle n’en sous-entend pas moins des conditions d’existence précaires, instables, le déménagement étant fréquent et dures. 

Un ouvrage reprenant ces thèmes est actuellement en cours de préparation. Il sera proposé à la Casa de Velazquez et à l’École française de Rome, dans la perspective d’une co-édition, avant la fin 2020.