Projet scientifique
Cet axe, bien que structuré en sous-thèmes, présente une très forte cohérence. Il regroupe en effet l’ensemble des recherches du LaMOP concernant le texte médiéval dans ses dimensions matérielles (support textuel, de la matière à l’objet), linguistiques (latin, langues modernes, interaction entre les deux champs), et sociales (histoire du texte en tant qu’interaction avec effets de boucle permanents entre la diffusion/recréation permanente du/des texte(s) et l’évolution des acteurs sociaux et des sociétés). Dans cette mesure, le thème « Livres, textes langage » est transversal à l’ensemble des activités du laboratoire, puisqu’il concerne l’ensemble des acteurs du LaMOP dans leurs recherches (les historiens du matériel et les archéologues travaillant également à la jonction entre le textuel et le non-textuel). La spécificité des travaux regroupés ici tient plutôt au fait que les programmes et activités concernés placent le plus radicalement le texte dans ses différentes dimensions au centre de leur réflexion, dans la ligne de la nouvelle histoire textuelle qui a renouvelé notre approche des textualités médiévales depuis quelques années. Les traditionnelles « disciplines auxiliaires » de l’histoire médiévale se voient ici transfigurées par le renouvellement des objectifs et des méthodes qui les replacent au centre de la réflexion de médiévistes.
À ce thème participent ou ont participé dix-neuf chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs du Laboratoire (Philippe Bernardi, Pierre-Henry Billy, Émilie Cottereau, Christine Ducourtieux, Laurent Feller, Christopher Fletcher, François Foronda, Jean-Philippe Genet, Monique Goullet, Benoît Grévin, Fabrice Jejcic, Laurent Jégou, Octave Julien, Thomas Lienhard, Eliana Magnani, Aude Mairey, Didier Panfili, Nicolas Perreaux, Darwin Smith, Emmanuelle Vagnon) ; une doctorante (Coraline Rey) ; dix-huit associés ; deux chercheurs en délégation (Étienne Anheim, Éléonore Andrieu).
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Histoire matérielle des textes
Le premier axe concerne l’histoire du texte envisagée en privilégiant l’optique matérielle, à divers degrés : forme et support. Il regroupe en particulier deux programmes qui présentent une réflexion rénovée sur deux sciences considérées traditionnellement comme des « disciplines auxiliaires » de l’histoire médiévale, profondément modifiées par les bouleversements heuristiques liés au développement de la nouvelle histoire textuelle, la codicologie et la diplomatique.
Codicologie
La codicologie a bénéficié depuis la fondation du LaMOP d’une tradition d’excellence liée au développement par certains de ses membres fondateurs (Ezio Ornato, Carla Bozzolo) d’une véritable révolution scientifique, avec la création et l’affinement des méthodes de la codicologie quantitative. On passait de l’étude marquée par la philologie et profondément marginalisée en histoire du manuscrit-objet isolé ou décontextualisé, à des méthodes d’analyse statistiques envisageant l’ensemble de la chrétienté occidentale et permettant d’étudier les grandes tendances de développement, de changement matériel et de diffusion de l’objet-livre dans la société médiévale. Depuis 2015, le programme Codi-quanti, dirigé par François Foronda, a repris cet héritage en lui donnant une orientation résolument internationale et pédagogique. Le séminaire de Codicologie quantitative et sociologie du livre médiéval, co-organisé avec l’Université de Namur (Xavier Hermand), est l’occasion d’associer chercheurs et étudiants tout en participant à l’élaboration progressive d’un « pack » Codi-Quanti (rassemblement d’un ensemble de textes et de tutoriels permettant de suivre à la pointe l’évolution internationale de la discipline, rédaction d’un véritable manuel de codicologie quantitative), et surtout d’une école d’été de rayonnement international (étudiants européens, nord-américains et africains) qui après l’organisation d’un premier atelier de formation à Namur le 28 mai 2015, a pris sa vitesse de croisière en 2016 (en collaboration avec l’IRHT) et surtout en 2017 (en collaboration avec l’IRHT et l’École nationale des Chartes) grâce au soutien d’APICES (2016) et du LABex HASTEC (2016-2017). Permettant de créer une synergie entre les approches d’histoire textuelle plus philologique et strictement codicologique d’autres lieux d’excellence parisiens, dans la logique des disciplines de l’érudition, et l’approche d’histoire sociale qui fait la spécificité du LaMOP, cette reconfiguration du champ d’investigation et de diffusion pédagogique de la codicologie a confirmé la place centrale du LaMOP dans cet aspect de l’histoire textuelle. Divers projets (étude sociologique et codicologique des missels et bréviaires médiévaux sous la direction d’Émilie Cottereau, réflexion sur la pérennisation des acquis du programme antérieur Bernstein sous la direction d’Ezio Ornato) s’agrègent au môle structurant que représente Codi-Quanti.
Diplomatique
Une seconde facette cruciale de l’histoire matérielle du texte concerne la réflexion sur l’objet-texte dans son aspect le plus fondamental pour la recherche en histoire médiévale avec le livre, c’est-à-dire l’objet-charte, témoin à la fois quantitativement innombrable (plus d’un million d’exemplaires préservés à travers l’Europe) et chaque fois unique de l’inscription d’un rapport de pouvoir et d’un équilibre socio-juridique dans un moment précis de la société médiévale. Dans le contexte des années 2012-2017, alors que la diplomatique traverse à l’échelon français et européen une certaine crise (carence de chaires et manque relatif de vocations), le LaMOP a bénéficié de l’apport considérable représenté par l’arrivée en son sein d’un programme innovant suivant également la tradition de renouvellement des disciplines naguère « auxiliaires » grâce aux méthodes quantitatives, et d’ouverture vers l’histoire sociale. Le programme CBMA (Corpus de la Bourgogne du Moyen Âge), dirigé par Eliana Magnani, et initié en 2004, a pris une ampleur remarquable ces dernières années. (voir « Faits marquants »). Porté depuis 2009 par Nicolas Perreaux, le corpus des Cartae Europae Medii Aevi (CEMA), propose quant à lui un portail commun pour les textes diplomatiques européens, avec une base de données contenant 250 000 textes (2021), soit 75 millions de mots. De même que pour la codicologie, le LaMOP confirme ici sa spécificité de laboratoire de recherche en histoire médiévale polyvalent et central, se positionnant dans les recherches de pointe à l’interface de différentes recherches spécialisées dont son approche socio-textuelle lui permet d’éviter les cloisonnements. Des enseignements spécialisés tels que l’enseignement de paléographie latine et française médiévale délivré par Olivier Mattéoni viennent compléter cette palette pour assurer une formation complète des étudiants dans les différents aspects non-linguistiques de l’approche du texte médiéval, sans toutefois les dissocier de l’activité de recherche linguistique et historique en tant que telle (édition-commentaire du corpus des actes de Jean, duc de Berry).
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Linguistique et textométrie
Le deuxième axe regroupe les travaux et activités plus directement liés à l’étude des textes entendus dans leur dimension linguistique. Sa spécificité est double. D’une part, il privilégie l’étude textuelle selon des méthodes quantitatives et lexicométriques rendues possibles par le développement des instruments d’analyse informatique, en se plaçant à la pointe de la révolution permanente que le traitement et l’analyse informatique toujours plus raffinés des textes représentent depuis une génération. D’autre part, il a une forte dimension pédagogique, une partie de l’activité de recherche et de travail sur la langue se concentrant sur la transmission pédagogique et la réflexion méthodologique sur les conditions de pérennisation et d’amélioration d’un savoir linguistique nécessaire à la poursuite des études médiévales, en direction des étudiants.
Plateforme d'analyse linguistique médiévale
La construction et le développement de la plate-forme innovante PALM (Plateforme d’analyse linguistique médiévale) initiée en 2010 et toujours en cours d’amélioration et d’agrandissement (dont la porteuse est désormais Aude Mairey), représente une contribution majeure dont l’importance est en train d’émerger dans le paysage de la médiévistique française et internationale, à l’analyse linguistique des textes médiévaux, tant en latin qu’en langues vernaculaires (pour l’instant français et anglais, les deux langues vernaculaires médiévales les plus étudiées et sollicitées d’un point de vue informatique à l’échelle mondiale). Originellement développée dans le cadre du programme de l’ERC « Signs and States » (PDF, 99ko), elle est destinée au traitement des textes médiévaux pour la plupart rassemblés dans le corpus Meditext, constamment enrichi. Le système permet de préparer n’importe quel texte latin, anglais ou français pour une analyse lexicométrique ou sémantique en dépit de la variation orthographique, géographique ou chronologique inhérente aux textes médiévaux. Grâce à PALM, le LaMOP s’est hissé à la pointe des études textométriques (et dans le futur sémantico-syntaxiques) indispensables pour que l’étude linguistique des textes médiévaux ne reste pas en arrière des mutations progressives de la linguistique. L’outil a pourtant été conçu par et pour les historiens : l’analyse informatique, lexicométrique et sémantique débouche automatiquement sur une histoire de la pensée médiévale renouvelée, dépassant le clivage « histoire des idées/histoire de la société » et faisant apparaître des tendances insoupçonnées dans l’évolution d’une pensée sociale en action (cf. en particulier les travaux d’Aude Mairey sur les relations entre la floraison d’une littérature politique au sens large en moyen anglais et les mutations socio-politiques dans l’Angleterre des XIVe-XVe siècles).
Langues et savoirs linguistiques
En complémentarité avec ce programme, le LaMOP ne néglige pas la réflexion sur la transmission et le renouvellement des savoirs linguistiques à destination des étudiants et des chercheurs en histoire médiévale. Sans une pérennisation des connaissances linguistiques de tout genre, la discipline est en effet menacée d’écartèlement entre le développement d’outils de recherche futuristes par rapport aux générations précédentes, et l’incapacité croissante de nouvelles générations à maîtriser au même niveau des instruments que la culture classique du début du XXe siècle mettait encore à leur portée avant leur entrée à l’université (latin, moyen français…). C’est dans cet esprit que les années 2012-2017 ont vu la mise en place d’une réflexion pédagogique destinée à créer au niveau de l’apprentissage linguistique l’équivalent des moyens pédagogiques mis en place pour la codicologie (cf. supra). Ce renouvellement a passé par la montée en force des enseignements de latin médiéval. Ce cycle élargi comprend désormais à la fois trois niveaux, débutant, intermédiaire et avancé/traduction, et au niveau haut, trois domaines différents : latin pragmatique du notariat/administration, avec réflexion sur les textes mixtes latin-langues vernaculaires, latin humaniste (haut latin des XIVe-XVe siècles) et latins du haut Moyen Âge (latins tardifs évolutifs, latin carolingien). Il permet ainsi de couvrir l’ensemble des palettes d’écriture dans la langue de production majeure de la documentation médiévale, tout en assurant la liaison avec les formes hybrides latines-modernes. C’est une équipe de cinq personnes (Marie Dejoux, Benoît Grévin, Clémence Revest, Isabelle Bretthauer et Harmony Dewez) qui assure désormais cet enseignement. Depuis 2016, la palette s’est encore élargie avec la création d’un enseignement d’italien médiéval (Benoît Grévin) et également, en 2017, d’un séminaire d’occitan médiéval pour les historiens (Philippe Bernardi, Benoît Grévin, Nicolas Quint). C’est à terme l’objectif d’un enseignement complet sur les principales langues médiévales pour l’historien qui est visé, avec le désir de proposer une formule alternative, conçue pour les étudiants et chercheurs historiens non spécialisés en littérature ou en linguistique (accent mis sur les textes politiques et administratifs, sans toutefois se couper de la littérature). La palette de cours et séminaires offerte est unique à Paris, car elle vient compléter une absence, la plupart des séminaires de langue étant conçus dans une optique littéraire ou linguistique.
Haut Moyen Âge Occidental en Traduction
Le programme HMAOT (Haut Moyen Âge Occidental en Traduction), dirigé par Laurent Jégou, s’inscrit dans la logique de cet effort pédagogique en tentant d’organiser une réflexion pour rassembler, contrôler et baliser (garde-fous méthodologiques, préparation…) l’ensemble des traductions à disposition concernant les textes latins du Haut Moyen Âge. Il s’agit ici d’accompagner une évolution massive (moindre compétence acquise en latin des étudiants se destinant à l’histoire médiévale) en élaborant à la fois un corpus et une méthodologie de consultation croisée des traductions existantes et des textes latins, afin de préparer l’étudiant puis le chercheur à affronter des textes dont l’analyse linguistique renouvelée (nouvelles interprétations des formes des latins évolués du haut Moyen Âge, jadis considérés comme barbares) a par ailleurs rendu le déchiffrement exact plus ardu que dans le passé.