Projet scientifique
Ce thème regroupe neuf programmes dédiés à une réflexion sur la constitution et le fonctionnement des groupes sociaux dans l’Occident médiéval en s’intéressant à la fois aux pratiques et aux discours. Il s’agit ici de s’inscrire dans une démarche d’histoire sociale avec plusieurs objectifs : produire une vision renouvelée de la manière dont les groupes se constituent et interagissent grâce à la déconstruction d’anciens paradigmes et à l’implémentation de concepts issus des sciences sociales, fabriquer de nouveaux outils de connaissance des groupes sociaux grâce à l’utilisation des nouvelles technologies, ce qui explique le nombre élevé de programmes, certains étant dédiés à des objets spécifiques.
Porteurs :
À ce thème participent ou ont participé quatorze membres du laboratoire, chercheurs et enseignants-chercheurs (Fabrice Délivré, Thierry Kouamé, Jean-Philippe Genet, Willy Morice, Geneviève Bührer-Thierry, Régine Le Jan, Laurent Jégou, Thomas Lienhard, Stéphane Lamassé, Joseph Morsel, Julien Demade, Hélène Noizet, Emilie Cottereau-Gabillet, Anne Tournieroux ; sept doctorants (Adrien Bayard, Mathilde Jourdan, Lucie Malbos, Warren Pezé, Arnaud Lestremau, Claire de Cazanove, Evgeniya Shelina) ; trente associés.
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Réseaux
Un premier ensemble de programmes vise à réfléchir sur les structures et les acteurs de la société médiévale en produisant des outils à destination de la communauté des chercheurs, tout en exploitant les données ainsi rassemblées. L’objectif est triple : produire des outils à destination de la communauté internationale des chercheurs ; participer à la formation des étudiants et des jeunes chercheurs dans le domaine des humanités numériques ; exploiter les données ainsi obtenues dans le cadre d’études de cas ou de journées d’études d’ampleur variable. On doit souligner dans cet ensemble la réflexion alliant pratique historique, réflexion méthodologique et formation des chercheurs.
Ainsi les programmes Prosopographie et Studium Parisiense, portés par Thierry Kouamé reposent sur la constitution et l’exploitation de base de données fondées sur des répertoires prosopographiques : la base Charles VI et la base des maîtres et étudiants parisiens Studium qui compte d’ores et déjà plus de 18 000 fiches dont 12 000 en ligne (l’objectif étant d’atteindre les 40 000). La construction de cette base a également pour ambition de développer le logiciel PROSOP, conçu pour gérer la base Studium, en un logiciel autonome et utilisable pour construire d’autres bases de données prosopographiques, en liaison avec le logiciel ClioXML, développé au sein du PIREH. Ces projets ont permis de nouer des partenariats à l’échelle nationale et européenne : par exemple avec le projet DeLegatOnline de l’Université de Pécs, mais surtout avec les Archives nationales, la Bibliothèque de la Sorbonne et l’EquipEx BIBLISSIMA. Le projet Studium Parisiense est l’un des membres fondateurs du réseau Heloïse, qui travaille à la convergence des bases de données d’universitaires, gérées par onze équipes européennes.
À ce travail de recherche fondamentale sont intimement liées deux actions de formation : le séminaire méthodologique de T. Kouamé, Initiation à la prosopographie, pour les étudiants du master d’histoire de l’Université Paris 1 ; et le séminaire de recherche La prosopographie : objets et méthodes, coordonné par T. Kouamé, C. Mérot (Archives nationales) et E. Picard (ENS de Lyon), qui confronte les différentes sciences sociales et suscite le dialogue entre archivistes et chercheurs des quatre périodes historiques. Dans ce même domaine de la prosopographie, le LaMOP coordonne l’équipe des Fasti Ecclesiae Gallicae sous la direction de F. Délivré avec un double objectif : réaliser des dictionnaires prosopographiques du haut clergé cathédral (évêques, dignitaires et chanoines) pour chacun des diocèses de l’espace français, entre 1200 et 1500, édités dans une collection dédiée chez Brepols (16 vol., 1996-2017). Les notices doivent être prochainement basculées dans une base de données en ligne sur le site Brepolis. Le second objectif consiste à mettre en réseau des chercheurs (historiens, historiens de l’art, archéologues) travaillant sur le monde des cathédrales et des chanoines séculiers, en particulier au travers de l’organisation (depuis 2016) de tables rondes annuelles thématiques qui réunissent vingt-cinq à trente personnes venues de France et de l’étranger. Enfin, l'ANR Daphne (Découverte dans les bAses Prosopographiques Historiques de coNnaissancEs), portée par Stéphane Lamassé et le PIREH.
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Communautés
Le second ensemble de programmes fait également appel aux humanités numériques mais vise surtout à impulser une réflexion renouvelée sur la formation des groupes sociaux et sur leurs interactions, notamment grâce à l’apport des sciences sociales, dans le cadre de partenariats internationaux. L’objectif est ici de déconstruire les paradigmes anciens en confrontant les historiographies à l’échelle européenne, tout en dialoguant avec les sciences sociales et en associant étroitement les doctorants et les jeunes chercheurs à l’ensemble des travaux. Les questionnements portant sur le contour des groupes sociaux et leurs interactions ont donné lieu à des programmes distincts et néanmoins liés entre eux.
Structures et les communautés de l’Église médiévale
Ce programme porté par Fabrice Delivré entend étudier les structures et les communautés de l’Église médiévale. Les participants sont principalement engagés dans deux vastes entreprises qui convergent dans L’ANR COL&MON. En effet le CRIHAM (EA 4270), le LEM (UMR 8584) et le LaMOP (UMR 8589) et d’EVS (UMR 5600) collaborent à ce projet qui a pour objectif de constituer et d’analyser le corpus numérique des monastères et des collégiales de l’espace français entre 816 et 1563. COL&MON est issue de la convergence de deux projets de recherche : la base de données Collégiales, construite au sein du LaMOP, sous la responsabilité d’Anne Massoni (CRIHAM), dans le sillage des Fasti Ecclesiae Gallicanae, et la base de données « Monastères », conçue au sein du CERCOR, sous la responsabilité de Noëlle Deflou-Leca (LEM). Grâce au croisement de ces deux projets, la base de données fusionnée vise à réaliser une nouvelle solution logicielle de cartographie historique, qui permettra de comprendre les ressorts de l’implantation et du réseau géographique des établissements ecclésiastiques de la France médiévale. À l’horizon 2020, un silo de données moissonnables sera opérationnel en lien avec la reconstitution des frontières diocésaines, réalisée au sein du LaMOP par un géomaticien en contrat postdoctoral, qui s’est appuyé sur la géographie ecclésiastique du XIVe siècle et sur les couches de données issues du SIG. Utilisé avec un environnement interactif d’interrogation, de visualisation et de stockage, ce silo produira, à la demande des chercheurs, des cartes évolutives permettant l’analyse spatiale et chronologique de ces réseaux. Un serveur de données géographiques, une application Webmapping et les publications issues des séances de travail entre membres du projet seront en outre proposés à des publics variés (chercheurs spécialisés en SHS et grand public) dans un portail Web abrité par le TGIR Huma-Num. La poursuite des programmes en cours (COL&MON, Communautés du haut Moyen Âge, Studium et Réseaux notamment) permettra le développement d’actions spécifiques de formation à destination des étudiants de master et de doctorat : une formation doctorale ouverte aux M2 est prévue à l’automne 2020 en partenariat avec l’EFR autour des « communautés politiques et religieuses du haut Moyen Âge en Méditerranée ». L’ensemble des réflexions sur l’usage de l’analyse-réseau et sur la prosopographie continuera de nourrir des approches spécifiques dans le choix des sujets de recherche des étudiants de master et de doctorat. Il permettra aussi la poursuite et le développement de partenariats internationaux, notamment dans le cadre du projet « Transformation of the Carolingian World. Plurality and its limits in the Remaking of Europe (9th-12th c.) », porté par l’Österreichische Akademie der Wissenschaften de Vienne et l’université de Princeton, auquel le LaMOP est associé. La cohésion globale du thème s’appuie sur la participation des chercheurs et enseignants-chercheurs à plusieurs programmes et sur l’intégration croissante des membres du PIREH à l’ensemble des actions de recherche et de formation.
Institutions d’enseignement de l’Europe médiévale
Le second programme, porté par Thierry Kouamé, vise à étudier les institutions d’enseignement de l’Europe médiévale en tant que groupes de pression au sein de la société politique et comme les éléments du système d’enseignement institutionnalisé propre au second Moyen Âge, produit de la mise en place de la féodalité, du développement de la Réforme grégorienne et de la construction de l’État moderne. Les écoles et les universités sont analysées sous divers aspects : inventaire et critique de leurs sources, prosopographie de leurs membres et pérennité de leurs structures dans les systèmes d’enseignement contemporains. Dans ce cadre, le Gabriel Project a pour but d’éditer les statuts des collèges parisiens à partir des papiers du médiéviste Astrik L. Gabriel, en collaboration avec le Medieval Institute de l’Université de Notre Dame (Indiana). Le « Corpus Riché », répertoire informatisé des sources pédagogiques et traités d’éducation du Moyen Âge, permettra à terme de prendre la mesure du discours idéologique sur l’enseignement dans la pensée médiévale. Enfin, le programme de recherche sur « La thèse de doctorat et le monde professionnel » a ouvert des perspectives comparatistes avec les acteurs du monde éducatif contemporain, en collaboration avec le Centre de Recherche sur la Formation (EA 1410) du CNAM et depuis 2012, a donné lieu à trois rencontres scientifiques.
Communautés au Moyen Âge
Enfin, deux programmes ont pris pour objet la question de la constitution des « communautés » au Moyen Âge. En 2003 et 2005 avaient eu lieu deux rencontres internationales, sur La formation médiévale des communautés d’habitants : des chercheurs français, espagnols, anglais, italiens, allemands et danois s’étaient réunis pour envisager dans quelles conditions théoriques et historiographiques le problème de la formation des communautés d’habitants (désigné sous des noms variables, avec des connotations souvent différentes, d’une historiographie à l’autre) pouvait être repris, en tenant notamment compte de renouvellements théoriques concernant la spatialité du social et la prise en compte de la place centrale de l’Église dans l’organisation sociale. Le programme n’a pu être véritablement lancé qu’en 2010, sous la forme d’une série de deux ateliers par an, d’une durée de deux jours chacun, consacrés à une thématique particulière (une journée de travail théorique et une journée de travail sur deux dossiers documentaires particuliers), rassemblant une dizaine de chercheurs. L’ensemble a été coordonné par Joseph Morsel. Le résultat de ces travaux synthétisés lors de cette rencontre est un volume de plus de 500 pages, paru en 2018 : J. Morsel éd.), Communautés d’habitants au Moyen Âge (XIe-XVe s.), Paris, Editions de la Sorbonne, 2018.
En 2016, une journée préparatoire à un nouveau programme portant cette fois sur l’émergence de « communautés » dans le haut Moyen Âge s’est déroulée au LaMOP : À la recherche des communautés du haut Moyen Âge : formes, pratiques, interactions. Un bilan de l’historiographie a permis de constater deux orientations principales : celle qui identifie des communautés religieuses à l’intérieur de la société et celle qui étudie l’institutionnalisation des communautés. Si les communautés ne représentent jamais des personnes morales avant le XIIe siècle, certains historiens n’hésitent pas néanmoins à parler de « communautés » dès le haut Moyen Âge, en relation avec le territoire et avec l’émergence de la seigneurie. L’intérêt scientifique d’une telle étude repose sur la discussion des concepts issus des sciences sociales comme la notion flexible de « communauté de pratiques » (E. Wenger) : les membres d’une communauté sont progressivement « formés » à travers leur participation de plus en plus complète aux activités du groupe. Leurs interactions avec les membres expérimentés les transforment progressivement en membres à part entière, capables à leur tour de former de nouveaux membres. À l’issue de cette réflexion et en partenariat avec plusieurs universités européennes, un nouveau projet porté par Geneviève Bührer-Thierry, a été lancé en 2017 et inscrit dans le programme quinquennal de l’EFR 2017-2021 dans l’axe « Normes et sociétés ». Il a focalisé l’attention sur les petites communautés qui reposent sur des pratiques communes à une échelle locale ou régionale, en cherchant quels en sont les éléments constitutifs.À la recherche des communautés du haut Moyen Âge : formes, pratiques, interactions (VIe-XIe s.)
La question des communautés médiévales a donné lieu à de multiples travaux, le plus souvent focalisés sur la fin du Moyen Âge ou sur les communautés englobantes comme les peuples barbares ou la Chrétienté. Le but était ici de privilégier les petites communautés qui reposent sur des pratiques communes à une échelle locale ou régionale, car la véritable question est celle du paradigme qui remet en cause l’existence même de « communautés » dans les sociétés du haut Moyen Âge : on a pu soutenir que seules les transformations propres au bouleversement des Xe-XIIe siècles expliquent la floraison de formes communautaires se développant à la fin du Moyen Âge. C’est pour reprendre cette question qu’a été mené ce programme de recherches soutenu par l’École Française de Rome, avec des universités françaises : Paris1-Panthéon-Sorbonne, Littoral-Côte-d’Opale, Lille, Arras mais aussi italiennes : Ca’Foscari à Venise, Padoue, Roma Tre, et allemande : Eberhard-Karl à Tübingen.
Nous sommes partis « à la recherche des communautés du haut Moyen Âge » dans un cadre chronologique et géographique très large, en privilégiant des approches thématiques afin de mettre à jour les ressorts qui amènent à « faire communauté ». Si la notion de communauté véhicule la référence à une manière de vivre ensemble, caractérisée par la solidarité entre les membres du groupe et favorisant le maintien de la paix sociale, c’est qu’elle renvoie à un ensemble conçu comme une construction idéal typique, pensée par la sociologie allemande de Weber et Tönnies. Toutefois, nous n’avons pas voulu forger une nouvelle définition rigide, mais plutôt proposer des critères et des angles d’approche variés permettant d’appréhender les communautés dans toutes leurs dimensions.