Projet scientifique
Ce thème est dédié à l’étude de la vie économique dans ses rapports avec la vie sociale et avec l’écriture. Deux orientations ont été prises par les membres du laboratoire se rattachant à cette thématique, marquées par la nécessité de réfléchir en mobilisant les acquis de l’anthropologie économique et culturelle. 1. Histoire et anthropologie économique ; 2. Écritures de la vie économique. Six programmes articulent l'ensemble et définissent trois directions de recherche. Les chercheurs ont en commun d’étudier les relations sociales telles qu’elles sont structurées par la vie économique – par la dynamique de l’échange, par l’expérience de la pauvreté à travers la condition salariée, mais aussi à travers des objets moins attendus. L’écriture de la vie économique, les documents qu’elle produit pour contrôler et organiser la production et la circulation des biens et qui forment une gamme typologique presque inépuisable sont au cœur de la réflexion. D’autre part, les synergies avec le groupe Formes, matières, techniques sont une évidence. Elles s’opèrent à travers l’intérêt pour les objets et leur utilisation dans le contexte normal de ce pour quoi ils ont été prévus comme dans les contextes de remploi ou de détournement.
L’axe contribue chaque année depuis 2012 à l’organisation d’une école d’été d’histoire économique qui se réunit à Suse en Piémont au mois d’août et dont les thématiques sont issues des réflexions du groupe.
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Histoire et anthropologie économique
La première direction, intitulée « histoire et anthropologie économique », se décline autour de trois programmes et d’un colloque international consacré à l’histoire de la culture matérielle.
Expertise et valeur des choses
Le premier programme, porté par Laurent Feller, s’est achevé en 2011, mais les publications en relevant ont occupé les membres du groupe durant les trois années qui ont suivi la fin des réunions. Intitulé « Expertise et valeur des choses », il a pris la suite du programme La circulation des richesses au Moyen Âge et résulte d’une interrogation sur les modalités des échanges au Moyen Âge ainsi que sur l’équilibre entre échanges marchands et échanges non marchands. On s’y est d’abord interrogé sur les modalités non marchandes de la circulation des biens, ce qui a débouché sur une première publication (Objets sous contrainte. Circulation des richesses et valeur des choses au Moyen Âge, L. Feller et A. Rodriguez, Paris 2013). S’est alors posée la question fondamentale de l’évaluation traitée en abordant la notion d’expertise en matière économique afin d’interroger les moyens, matériels ou cognitifs, par lesquels se détermine, se mesure ou s’estime, la valeur des choses. Ce programme est adossé au séminaire doctoral tenu par Laurent Feller, « Histoire et Anthropologie économique médiévale ». Il a été décliné en trois rencontres dont la dernière s’est tenue à Madrid, en 2012, et qui ont permis la réunion d’une équipe principalement franco-espagnole (Universités de Toulouse (Framespa) et de Valence, CSIC de Madrid. Le soutien de la Casa de Velazquez a été extrêmement important pour l’organisation et la réalisation du programme.
Transiger
Dans le prolongement de la problématique des échanges et de ses modalités, un groupe animé par Julie Claustre a réfléchi collectivement à la question des transactions médiévales, s’efforçant d’en écrire une véritable ethnographie historique. Le groupe de travail ainsi constitué au sein du LaMOP au cours de l'année 2012 s’est réuni en ateliers réguliers jusqu’en 2018, afin de poser collectivement quelques éléments de cette ethnographie, en allant au-delà du constat, souvent fait, d’une montée en puissance de la contractualité et de rapports plus abstraits et dépersonnalisés au cours du Moyen Âge. Les chercheurs qui le composaient, « chevronnés », doctorants ou jeunes docteurs, sont spécialistes de la société médiévale dans la longue durée (du VIIIe au XVe siècle). Le résultat de leurs travaux a été publié en 2019 dans l’ouvrage Transiger. Éléments d'une ethnographie des transactions médiévales, Paris, Éditions de la Sorbonne (Collection Lamop), 2019.
Économies de la pauvreté
Le programme Économies de la pauvreté, en préparation depuis 2015, a débuté en 2016 et a duré jusqu’en 2020. Le projet a été largement international, avec la participation des Universités de Roma 2, Milan, Valladolid, Saragosse, Toulouse 2, ainsi que de l’École française de Rome et de la Casa de Velazquez. Il s’agit d’aborder la question de la pauvreté comme une question d’histoire économique, en s’interrogeant sur les relations entre la pauvreté et le travail, salarié ou non, ainsi que sur les mécanismes entraînant la disqualification sociale et l’exclusion. L’objectif était aussi de rendre compte des capacités de réaction des hommes et des femmes connaissant la pauvreté, et à s’arranger avec elle, en s’interrogeant donc sur l’agentivité des pauvres au Moyen Âge, sur la façon dont ils survivent à une indigence chronique et dont ils affrontent les conjonctures de chômage et de disette.
Deux volumes sont issus de ce programme. Le premier, portant sur la pauvreté féminine est sorti en 2021.
Donne e povertà nell’Europa mediterranea medievale, Laurent Feller, Paolo Grillo et Moglia Maddalena (éd.), Rome, Viella, 2021.Le second, rassemblant l’ensemble des actes des trois rencontres tenues de 2016 à 2019 sortira à la Casa de Velazquez en 2022.
Économies de la pauvreté au Moyen Âge, Sandro Carocci, Pere Benito et Laurent Feller (éd.), Madrid-Rome, Ecole française de Rome - Casa de Velazquez, 2022.
Histoire de la culture matérielle
Dans le cadre d’une réflexion collective sur les outils conceptuels pertinents à la pratique de l’histoire économique, une rencontre internationale a été organisée en octobre 2015 à Caen autour du thème de l’Histoire de la culture matérielle (programme - argumentaire). Cette thématique, banale dans les années 1960-1980, est tombée en désuétude en même temps que s’estompaient les problématiques liées à ce concept. Le colloque se présentait d’abord comme une approche en large part historiographique et méthodologique ayant pour objectif d’ouvrir de nouvelles voies à la réflexion et à la nécessaire convergence entre histoire économique, histoire des techniques et archéologie. Les actes de cette rencontre ont été publiés aux Presses Universitaires de Caen :
La culture matérielle : un objet en question. Anthropologie, archéologie et histoire, Luc Bourgeois, Danièle Alexandre-Bidon, Laurent Feller, Perrine Mane, Catherine Verna et Mickaël Wilmart (éd.), Caen, 2018, (Publications du CRAHAM. Série antique et médiévale).Histoire et économie
Une collaboration s’est développée entre l’axe anthropologie et histoire économique et les laboratoires d’économie de Paris 1 à travers les écoles doctorales d’histoire (ED 113) et d’économie (ED 465). Celle-ci, commencée par une école d’été organisée en 2014 s’est poursuivie par un séminaire commun entre doctorants de Paris 1 et doctorants d’économie afin de préparer une publication qui est sortie en 2020 :
L’évident et l’invisible. Questions de méthodes en économie et en histoire, Laurent Feller et Agnès Gramain (éd.), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020.
Le séminaire qui était transdisciplinaire, histoire et économie, et transpériode (les quatre périodes académiques de l’histoire y ont été représentées), a permis de confronter les points de vue et de mener des discussions méthodologiques entre représentants des deux disciplines.
Le but de l’opération était de s’interroger sur la définition et l’usage des données en économie et en histoire. En réfléchissant à cette notion, on voulait examiner ce qui pouvait rapprocher ou au contraire éloigner les deux sciences, l’idée pour les historiens de l’économie, étant d’approfondir le rapport qu’ils entretiennent avec une discipline académique dont l’épistémologie est apparemment très différente de la leur. Il a ainsi été possible de dégager un socle commun de concepts et de méthodes. -
Écritures de la vie économique
L’idée selon laquelle le maniement de l’écriture est consubstantielle à l’organisation de la production et à celle des échanges est celle que nous avons voulu creuser à travers cette réflexion collective multiforme, aux confins de l’histoire économique, de l’histoire culturelle et de l’histoire sociale. C'est dans cette direction que des thèses ont été préparées : une culture du nombre, une organisation de la mémoire des transactions ainsi qu'un système de preuves se trouvent aussi bien dans les grandes comptabilités monastiques de Norwich (H. Dewez) que dans le livre de raison, en fait un journal comme l’a démontré M. Morestin, de Jehan Teisseire, cordier avignonnais du XIV e siècle.
Administrer par l’écrit
Le programme Administrer par l’écrit, porté par Julie Claustre et Laurent Feller, est monté et exécuté en commun entre le LaMOP, l’Université de Versailles-Saint-Quentin, l’ENC et l’IRHT. Le carnet de recherche qui découle d’un séminaire organisé de manière mutualisée par les Archives nationales, l’École nationale des chartes et les partenaires déjà cités a pour objectif de mettre en lumière l’évolution des formes et des usages de l’écrit au cours des XIII e et XIV e siècles et de comprendre ses prolongements par-delà le Moyen Âge, dans un contexte où l’écrit devient de plus en plus foisonnant. . À cheval sur les périodes médiévale et moderne, il vise à étudier la manière dont les choses sont administrées grâce à l’écriture, ce qui conduit à manier l’archivistique et à traiter de problématiques d’histoire culturelle en liaison avec leurs préoccupations d’historiens de l’économie. Ce programme donne lieu, depuis 2015, à la réunion d’un séminaire qui se tient quatre fois par an dans les locaux des Archives Nationales ainsi qu’à une journée d’étude dont le thème est choisi collectivement. Les thèmes des deux premières années de séminaire ont été : « Classer, contrôler, négocier » (2015-2016) et « Inventions et réinventions d’archives (XIIIe-XVIIIe siècles) ». Les thèmes des journées d’étude ont été en 2016 Administrer par les archives et en 2017, « Les ruptures archivistiques ». Cette thématique a également donné lieu en 2015 à une rencontre coorganisée par le LaMOP et le laboratoire DYPAC de l’UVSQ sous le titre homonyme. Elle a réuni les doctorants des deux équipes qui ont pu ainsi exposer leurs travaux et confronter les points de vue différents adoptés par une équipe davantage orientée vers l’histoire culturelle, l’histoire du pouvoir et les questions pratiques de gestion des archives et le LaMOP davantage préoccupé de questions liées à la production et aux échanges.
Campus
Le programme Campus, porté par Didier Panfili, offre une bonne illustration de ce lien entre écriture et économie, en prenant en l’espèce le cadre de la vie agraire dans son aspect apparemment le plus évident. Il a choisi d’étudier l’un des mots servant à désigner les formes du paysage, le plus trivial, campus, et à étudier sa signification dans tous les contextes documentaires proposés par les participants, venus aussi bien du LaMOP que du dehors. Son objet a été de déterminer les différents usages et sens du mot campus au Moyen Âge en axant les analyses sur son versant rural et en croisant les regards des historiens, des archéologues et des linguistes. Outre une mutation sémantique, il a permis de mettre en évidence une très forte différenciation spatiale dans l’emploi du mot. Le programme a réuni 27 participants (dont 6 du LaMOP) provenant de 16 institutions de trois pays. Ses travaux sont en cours de publication : D. Panfili (dir.), La clé des champs. Les usages du mot campus au Moyen Âge, Tours, Presses universitaires François Rabelais, à paraître (2017).
Polima
Le projet ANR POLIMA (Pouvoirs des Listes au Moyen Âge), organisé par le DYPAC (EA 2449, Université de Saint-Quentin-en-Yvelines) et le LaMOP, et porté conjointement par Pierre Chastang et Laurent Feller, a pour objectif d’aborder de manière comparative le rapport qui s’établit entre des énoncés linguistiques, des procédés écrits de balisage textuel et des systèmes de connaissance et de maîtrise du monde. À travers la forme singulière de la liste, cette approche entend contribuer à l’étude de la culture médiévale de l’écrit. Il s’agit également, à partir de la description de pratiques documentaires, esthétiques et épistémiques particulières, d’interroger la genèse historique des catégories de raison et de rationalité à travers lesquelles les sciences humaines et sociales harmonisent des usages et des procédés variés et construisent leurs interprétations. Le programme rassemble une équipe stable d’une vingtaine de personnes, provenant de plusieurs Universités françaises, du CNRS et de l’EHESS, d’universités canadiennes et américaines. Des personnalités compétentes de toute nationalité sont invitées, choisies en fonction des thématiques abordées, provenant d’Europe ou du continent américain. Des doctorants sont régulièrement invités. Sur les sept workshops prévus, quatre ont eu déjà eu lieu.
Datini
Le projet intitulé Les correspondances Datini (pratiques épistolaires et réseau social d’un marchand toscan vers 1400), porté par Jérôme Hayez concerne le plus vaste fonds d’écrits marchands médiévaux, l’Archivio Datini (env. 1200 unités archivistiques, comprenant notamment quelque 150 000 lettres privées). Il a pour but de contribuer à la mise en place d’un volet d’instruments de recherche permettant des accès diversifiés à ces documents, au-delà de leur description et restitution numérique. Il s’agit de présenter les aspects matériels et textuels des correspondances pratiques de la période, à partir du fonds Datini, en y associant des fiches didactiques, une anthologie thématique et des corpus textuels, des tableaux de données lexicales et factuelles, et une base de données prosopographique. Le site (conçu grâce au soutien de Bernard Weiss, membre de l’UPS de Villejuif et dont un première présentation est prévue dans le courant de l’année 2017) doit permettre d’ordonner de multiples informations glanées à travers les publications mais surtout des sources inédites provenant d’une dizaine de dépôts français et italiens, accumulés au cours d’une trentaine d’années de recherches, mais aussi un enrichissement à long terme, à partir d’un fonds d’archives unique par son abondance, qui permet aussi de nombreux recoupements avec d’autres séries italiennes ou françaises. Deux projets parallèles contribueront à cet enrichissement. Il est prévu une analyse-réseau, avec la coopération de Stéphane Lamassé, portant sur l’ensemble du carteggio à partir de données descriptives et du contenu des missives (mentions d’autres individus que l’expéditeur et le destinataire) sur un échantillon plus restreint, dont le noyau pourrait être les correspondances de Matteo di Lorenzo Boninsegna, un jeune facteur florentin des agences Datini de Pise et d’Avignon (plus de 300 lettres échangées sur une période de 2 ans). Le projet d’habilitation de Jérôme Hayez, mené sur les correspondances personnelles et familiales de deux épiciers d’Avignon originaires de Prato, Niccolaio di Bonaccorso et Iacopo del Nero (env. 300 lettres et une documentation complémentaire dispersée entre la Toscane et la Provence) offrira par ailleurs matière à quelques dizaines d’autres fiches prosopographiques développées.