Projet scientifique
Ce thème privilégie trois axes (ou sous-thèmes), dont l’unité est une réflexion sur les pouvoirs, leurs fondements et les conditions de leur affirmation. Ces trois axes ont donné lieu à plusieurs programmes dont les caractéristiques sont une complémentarité des questionnements, notamment sur le thème de la souveraineté, une démarche marquée du sceau de l’anthropologie politique et juridique, et une approche qui combine, à l’échelle de l’Europe, lectures comparatives et études de cas. Les recherches menées dans ce thème s’inscrivent donc dans une histoire politique renouvelée.
Porteurs :
À ce thème participent ou ont participé vingt-deux chercheurs et enseignants-chercheurs du Laboratoire (Patrick Boucheron, Geneviève Bührer-Thierry, Julie Claustre, Marie Dejoux, Fabrice Délivré, Laurent Feller, Chris Fletcher, François Foronda, Claude Gauvard, Jean-Philippe Genet, Benoît Grévin, Robert Jacob, Laurent Jégou, Thierry Kouamé, Stéphane Lamassé, Élisabeth Lusset, Thomas Lienhard, Éliana Magnani, Aude Mairey, Régine Le Jan, Olivier Mattéoni, Hélène Noizet) ; huit doctorants (Mélissa Barry, Arnaud Lestremau, Lucie Malbos, Warren Pezé, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Emeline Sterlin, Anne Tournieroux) ; un ingénieur de recherche (Christine Ducourtieux) ; un chercheur en délégation (Olivier Canteaut) ; dix associés.
-
Souveraineté et ordre politico-juridique
Le premier axe, « Souveraineté et ordre politico-juridique », réunit quatre programmes liés entre eux dans leur réalisation autour de la question de l’écriture de la loi et du rôle des chancelleries.
Écriture de la loi
La question de l’écriture de la loi est abordée dans deux programmes, celui porté par Olivier Mattéoni L’écriture de la loi à la fin du Moyen Âge, pour l’espace français, et François Foronda pour l’espace castillan, intitulé Les fondements codicologiques de l'ordre juridique. L’accent mis dans ces deux approches sur la matérialité de la loi, traitée par le biais d’une étude des recueils d’enregistrement et des registres d’ordonnances, a surtout permis de poser à nouveaux frais la question de la diffusion de la loi et de sa réception par les administrations royales et les pouvoirs municipaux (cf. la table ronde de Paris, avril 2014, « Diffuser, recevoir, conserver. La loi du XIVe au XVIe siècle ». Si, pour la Castille, le projet de recherche devrait prochainement aboutir à une étude inédite par le porteur du projet dans le cadre de son dossier d’habilitation, pour la recherche sur la France, le projet sur la fabrique, la conservation et la diffusion de la loi est appelé à s’intégrer dans une entreprise plus large en coopération avec les Archives nationales qui projettent la numérisation des registres d’enregistrement des actes royaux au Parlement de Paris. À cette occasion, un travail systématique d’inventaire des registres est envisagé, pour saisir quels textes et quelles ordonnances le Parlement enregistrait, à quelle fréquence, et s’il émettait ou non des remontrances. À travers cette approche, il s’agit de réfléchir aux ressorts de l’enregistrement en France et aux raisons pour lesquelles la royauté française ne parvient pas à se constituer à la fin du XVe siècle un corpus cohérent et accessible de sa législation.
Diplomatique princière
Dans le prolongement de la problématique de l’écriture de la loi, qui pose en creux la question du rôle des chancelleries royales dans la mise en forme des grands textes normatifs, le programme sur la diplomatique princière confronte, à l’échelle du royaume de France pour les XIVe et XVe siècles, dans une démarche comparative, typologies, formules et rédacteurs des actes princiers. Par ce biais, il s’agit d’approcher les mécanismes d’imitation et de syncrétisme, voire de bricolage, qui font des actes des princes fleurdelisés un reflet, mais aussi un relais de l’acte royal. Porté par Olivier Mattéoni et Olivier Guyotjeannin (associé), ce programme, qui est adossé à un séminaire didactique, Paléographie et édition de textes, a une double ambition : d’une part, l’édition collective, avec les étudiants du séminaire, du corpus des actes du duc Jean de Berry (1360-1416) – à quoi s’ajoute l’édition par Olivier Mattéoni des actes du duc Louis de Bourbon (1356-1410) –, d’autre part, une contribution à l’étude de la diplomatique princière, dont il convient de constater qu’elle demeure partielle et encore insuffisamment travaillée pour la fin du Moyen Âge. Pour mener à bien ce double objectif, un partenariat a été engagé avec les Archives départementales du Cher qui conservent un nombre important d’actes de Jean de Berry. À l’occasion du 6e centenaire de la mort du duc de Berry, une rencontre scientifique autour de la thématique de l’écrit princier à la fin du Moyen Âge y a été organisée (cf. Journées d’étude, 16 et 17 juin 2016, « Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France », actes à paraître en 2018). Elle s’est accompagnée de la mise en ligne, sur le site des Archives départementales du Cher, de l’édition avec commentaire d’une partie des actes du duc de Berry pour la Sainte-Chapelle de Bourges entreprise par les étudiants du séminaire . Cette première salve de dossiers est appelée à être complétée par d’autres dossiers en 2017 et 2018. De même, le regeste de l’ensemble des actes du duc de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges sera mis en ligne fin 2017. L’édition des actes de Jean de Berry (150 d’entre eux sont déjà prêts) et le séminaire, base matérielle de ce programme se poursuivra avec un élargissement aux actes de l’ensemble des ducs de Bourbon. Cette recherche sur la diplomatique princière est également une invitation à réfléchir à la question de l’existence d’une « souveraineté des princes » à la fin du Moyen Âge, ce qui entre en écho avec le programme sur les procès politiques, porté au sein du laboratoire par Olivier Mattéoni et Joël Blanchard (associé). Ce programme, qui s’achèvera en 2018, a donné lieu à plusieurs éditions de procès du règne de Louis XI (procès de Jacques d’Armagnac, procès posthume de Charles le Téméraire, procès des officiers du duc de Bourbon, procès d’Antoine de Chabannes et de Charles de Melun, ce dernier volume à paraître en 2018), et a été durant plusieurs années au cœur du séminaire de recherche d’Olivier Mattéoni Pouvoirs, culture et pratiques politiques à la fin du Moyen Âge. Par ailleurs, une table ronde a été organisée en 2013 à l’université du Maine, sur le sujet « Le discours judiciaire à l’épreuve du pouvoir. Les procès politiques sous Louis XI ». Elle a permis de revenir sur le sens à accorder à ces nombreux procès, qui peuvent apparaître comme un moyen de gouvernement. La réflexion sur la justice s’est aussi déployée dans la recherche de Robert Jacob autour de la question de l’institution judiciaire et du sacré en Occident. Le livre, La grâce des juges, qu’il a publié en 2014 vaut par sa démarche qui fait appel à une vaste anthropologie comparative des rituels de justice entre l’Occident et le monde chinois.
Retour sur la justice de Saint Louis
Retour sur la justice de Saint Louis : si l’on exclut les actes de saint Louis, qui attendent toujours d’être édités, les sources judiciaires de son règne ont pourtant fait l’objet d’une édition précoce, dès le XIXe siècle. Érigés au rang de monuments nationaux, ces documents ont été savamment contournés jusqu’à leur dépouillement récent, principalement lors de thèses de doctorat d’histoire ou d’histoire du droit, soutenues ces sept dernières années. C’est ici tout l’enjeu : écrire un ouvrage de synthèse sur ce qui était, en ce milieu du XIIIe siècle, l’un des chemins privilégiés par le pouvoir royal pour se forger une légitimité et une souveraineté nouvelles et l’un des jalons importants de la construction d’un État de droit en France.
Porteuse du programme : Marie Dejoux
Autres participants : Pierre-Anne Forcadet (associé), Vincent Martin (associé), Liêm Tuttle (associé)
-
Souveraineté et langage politique
La question de l’écriture politique, qui irrigue largement les programmes du premier axe, est également au cœur des deux programmes qui constituent le deuxième axe, « Souveraineté et langage politique ».
Reformatio, pour une histoire du vocabulaire réformateur médiéval
Reformatio : Terme incantatoire, la réforme sature le discours politique actuel comme elle informe notre manière de narrer le Moyen Âge (réforme carolingienne, grégorienne, etc.). Pourtant, ce mot de réforme n’est que rarement l’objet de questionnements ou de recherches de la part des historiens. Or il faut sans doute attendre le XIe siècle pour que la reformatio commence sporadiquement à désigner, en contexte monastique, des changements institutionnels globaux, et, dans le champ politique capétien par exemple, la lutte entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel pour qu'elle entre durablement dans la terminologie politique française. L'objectif de ce programme est donc de mettre en œuvre une enquête lexicographique de vaste ampleur, pour retracer l'histoire d'un terme à succès, mais également pour dessiner les contours d’un lexique réformateur plus large et proprement médiéval, en mesurer la diffusion, en percer le sens exact et les contextes précis d’éclosion et de réactivation. Conçue à l’échelle européenne et sur le temps long, ce projet international entend ainsi faire dialoguer les périodes, les espaces, l'histoire religieuse et l'histoire politique et s'engager résolument dans la voie de la réflexivité historiographique.
Porteuse du programme : Marie Dejoux
Liste des participants : au Lamop : Gaëtan Bonnot, Geneviève Buhrer-Thierry, Julie Claustre, Fabrice Delivré, François Foronda, Claude Gauvard, Laurent Jégou, Elisabeth Lusset, Aude Mairey, Olivier Mattéoni, Joseph Morsel, Didier Panfili, Nicolas Perreaux, Darwin Smith ; hors du Lamop : Sophie Ambler (université de Lancaster, Grande-Bretagne), Julia Barrow (université de Leeds, Grande-Bretagne), Alexandra Beauchamp (université de Limoges, CRIHAM), Esther Dehoux (université de Lille III, IRHiS), Alain Guerreau (CNRS), Ada Maria Kuskowski (université de Pennsylvanie, Etats-Unis), Michel Lauwers (université de Nice Sophia Antipolis, CEPAM), Anne Lemonde (université de Grenoble-Alpes, LUHCIE), Gisela Naegle (université Justus-Liebig de Giessen, Allemagne), Pascal Montaubin (université d’Amiens), Thierry Pécout (université Jean Monnet de Saint-Etienne, LEM-CERCOR), Isabelle Rosé (université de Rennes II, CERHIO), Emilie Rosenblieh (université de Franche-Comté), John Sabapathy (University College de Londres, Grande-Bretagne), Steven Vanderputten (université de Gand, Belgique).
Écrits polémiques entre l’Église et l’État
La littérature politique et ecclésiologique est aussi au cœur du deuxième programme intitulé précisément Écrits polémiques entre l’Église et l’État. Papauté, conciles et pouvoirs séculiers (v. 1430-v. 1460) que porte Fabrice Délivré et dans lequel sont investis plusieurs membres et associés (Olivier Mattéoni, Élisabeth Schmit, Christine Barralis, Véronique Julerot et Émilie Rosenblieh). L’objet en est l’étude de l’importante production polémique (traités, libelles, discours) pour la période v. 1430-v. 1460, qui, aux confins de l’ecclésiologie et de la théorie politique, s'emploie à définir le(s) pouvoir(s) du pape, du concile général et des princes séculiers dans la communauté ecclésiale. Le premier volet de l’enquête a porté sur les débats issus de l'ordonnance de la Pragmatique Sanction de Bourges (1438) par laquelle Charles VII a fait bon accueil, dans le royaume de France, à la législation réformatrice du concile de Bâle (1431-1449). Cela a donné lieu à deux journées d’études (16 et 17 mai 2014, et 22 et 23 mai 2015), réunies sous le titre « La Pragmatique Sanction de Bourges dans tous ses états. Pouvoir, droit, ecclésiologie dans l’Europe du XVe siècle », dont les actes paraîtront en 2018. Par sa problématique qui aborde les questions des modalités de la réception de la Pragmatique Sanction dans le royaume, la recherche est en prise directe avec les recherches sur la fabrique de la loi, ci-dessus citées, et le dialogue entre les deux programmes est bien présent. La recherche est ici appelée à se prolonger lors du prochain quinquennal et les déclinaisons envisagent, outre une ouverture vers l’Empire pour ce qui est de la circulation des écrits polémiques ou encore de la réception des traités du concile de Bâle, de prendre en compte la façon dont les rapports entre l’Église et les princes se sont déclinés au XVe siècle à travers les accords de concordats. L’attention portée aux acteurs, c’est-à-dire d’abord aux auteurs des écrits polémiques, est un point important de cette recherche, et il y a là un point commun avec le programme « Les Vecteurs de l’idéel ».
-
Régimes de domination
La question souveraine, au cœur des deux premiers axes du thème, trouve enfin des prolongements dans l’axe dédié à l’étude des « Régimes de domination ».
L’exclusion au haut Moyen Âge
La chronologie couverte de cet axe de recherche est ici plus large puisqu’elle comprend un premier programme sur « L’exclusion au haut Moyen Âge », mais dont les réflexions sont utiles aux médiévistes qui travaillent sur l’exclusion politique à travers le prisme des procès de la fin du Moyen Âge (cf. supra). Lancé en 2012, ce programme, porté par Geneviève Bührer-Thierry, Régine Le Jan et Sylvie Joye (associée), a été conçu, en partenariat avec l’École française de Rome, plusieurs universités européennes et deux universités brésiliennes. Inspiré par la réflexion sociologique sur les institutions et l’individu, sa réalisation a montré tout l’intérêt de la question de l’exclusion pour réfléchir aux relations complexes entre individu et société. A été notamment questionné le rôle de l’autorité et des autorités dans le processus d’exclusion de l’individu, de même que les modalités du processus et les réactions qu’il a suscitées. Trois colloques ont été organisés en 2012, 2014 et 2016. Les actes ont été publiés pour le premier (L’exclusion de la société chrétienne par l’excommunication), ils sont sous presse pour les deux autres (La construction du sujet exclu, et Richesse, pauvreté et exclusion).
Enfermements
Le programme Enfermements, lancé en 2009 et porté, au sein du laboratoire par Julie Claustre et Élisabeth Lusset, a fait le choix d’un questionnement sur la longue durée (du Moyen Âge à la période contemporaine). L'objectif est de rapprocher analytiquement et de comparer les institutions rassemblées sous la notion de « milieux clos », autour du cas emblématique de l’abbaye-prison de Clairvaux (http://enfermements.fr). Le programme se caractérise par sa transversalité thématique et chronologique : il croise l’historiographie religieuse et l’historiographie pénale. Contribution à l’histoire du gouvernement de l’Église mais aussi de l’espace, l’enquête se décline autour de plusieurs thèmes : une première réflexion comparatiste sur la longue durée (colloque en 2009, publication en 2011), une autre sur le caractère normé des lieux d’enfermement (colloque en 2012, publication en 2015), une troisième sur les rapports que ces lieux tissent avec le masculin et le féminin (colloque en 2013, publication en 2017). Le thème des dispositifs spatiaux de l’enfermement adopte, quant à lui, la forme originale d’un webdocumentaire, en partenariat avec l’atelier de production Lumento et les Archives nationales, entre autres. Intitulé « Le cloître et la prison : les espaces de l’enfermement », il est consultable en ligne depuis septembre 2018 (http://cloitreprison.fr). La dernière étape du programme porte sur le travail : elle a donné lieu à un premier atelier en janvier 2020 et un deuxième en novembre 2021. Un livre est en préparation, qui sera publié aux Éditions de la Sorbonne en 2024.
Masculinité
La question de la domination est enfin abordée à travers le programme qui a été porté au sein du laboratoire par Chris Fletcher pour interroger le rôle politique de la masculinité. Une rencontre internationale s’est tenue à l’université de Londres à Paris en septembre 2013. Elle a été le prélude à une publication internationale à paraître en décembre 2017 : The Palgrave Handbook of Masculinity and Political Culture in Europe (à paraître en 2018).
Imperialiter
Enfin, la participation du LaMOP au programme international Imperialiter (2017-2021), copiloté par l’École française de Rome et la Casa de Velázquez, et soutenu par vingt-cinq institutions différentes de cinq pays (France, Italie, Allemagne, Canada, Espagne) souligne l’ancrage du laboratoire à la pointe des dynamiques d’étude des reconfigurations du pouvoir durant le bas Moyen Âge et la transition vers l’époque moderne. Cette collaboration d’ampleur inédite vise à cartographier la « captation » du concept d’Empire dans tous ses aspects (symboliques, juridiques, institutionnels, communicationnels) du XIIIe au XVIIe siècle, par les pouvoirs européens non-directement assujettis à l’Empire, de la France à la papauté en passant par l’Angleterre et la Castille. De nombreux chercheurs du LaMOP (François Foronda, Benoît Grévin, Fanny Madeline, Aude Mairey, Olivier Mattéoni…) participent à ce programme qui permet d’articuler leurs compétences territoriales différentes (péninsule ibérique, Italie, France, Angleterre…) avec leur questionnement général sur la redéfinition du pouvoir en Occident.